Relance du nucléaire : le Conseil constitutionnel valide la majeure partie de la loi
Le Conseil constitutionnel a validé ce 21 juin la majeure partie de la loi de relance du nucléaire. Sur 30 articles, il en a censuré 10 en totalité ou partiellement, les considérant comme cavaliers législatifs ou contraires à la séparation des pouvoirs.
Dans une décision rendue ce 21 juin, le Conseil constitutionnel, a jugé conformes les grandes lignes de la loi de relance du nucléaire, visant à faciliter la construction de nouveaux réacteurs EPR à l'horizon 2035, que le Parlement a largement adoptée à la mi-mai. Il a ainsi validé plusieurs mesures clés comme la suppression du plafond de 63,2 GW de capacité totale de production nucléaire autorisée et la reconnaissance de l’intérêt général des projets de réacteurs nucléaires.
Farouches opposants à l'atome, les députés LFI et écologistes l'avaient saisi pour contester le texte. Était notamment contesté l’article 7 déterminant le champ d’application des mesures spécifiques, prévues par le titre II de la loi. Selon eux, le législateur avait retenu une durée d’application manifestement inadéquate au regard de l’objectif d’accélération de la transition énergétique et n’aurait pas préservé la faculté pour les générations futures de modifier les conditions de production de l’électricité décarbonée. Il en résultait à leurs yeux une méconnaissance des exigences découlant des articles 1er et 6 de la Charte de l’environnement. Mais le Conseil constitutionnel a jugé que le grief tiré de la méconnaissance de l’article 1er de la Charte de l’environnement devait être écarté.
Les députés contestaient aussi le paragraphe I de l’article 9 qui prévoit que la conformité de la réalisation d’un réacteur électronucléaire aux règles d’urbanisme est vérifiée dans le cadre de l’instruction de la demande d’autorisation environnementale ou d’autorisation de création du réacteur et qui dispense de toute formalité au titre du code de l’urbanisme les constructions, aménagements, installations et travaux liés à cette réalisation, rappelle le Conseil dans un communiqué. Selon eux, en ne limitant pas dans le temps et en ne réservant pas à certaines situations la dispense de toute formalité au titre du code de l’urbanisme prévue pour cette réalisation, ces dispositions méconnaissaient en particulier les exigences résultant des articles 1er, 3 et 6 de la Charte de l’environnement et l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement et, eu égard aux conséquences qu’elles auraient sur la possibilité d’exercer certains recours, le droit à un recours juridictionnel effectif s'en trouvait aussi menacé.
Le Conseil constitutionnel a jugé que "si le troisième alinéa du paragraphe I de l’article 9 dispense le porteur d’un projet de constructions, aménagements, installations et travaux liés à la réalisation d’un réacteur électronucléaire de solliciter les autorisations prévues par le code de l’urbanisme, telles que les déclarations préalables, les permis de démolir et de construire, il n’a ni pour objet ni pour effet de le dispenser de présenter une demande d’autorisation environnementale ou d’autorisation de création d’un réacteur électronucléaire, à l’occasion de laquelle la conformité de cette réalisation aux règles d’urbanisme applicables sera appréciée par l’autorité administrative compétente". Par ces motifs, "le grief tiré de la méconnaissance de l’article 1er de la Charte de l’environnement doit être écarté", a-t-il tranché. Il a en outre estimé que "les dispositions contestées, qui n’ont ni pour objet ni pour effet de priver les justiciables de la possibilité de contester devant le juge administratif les autorisations délivrées dans ce cadre, ne méconnaissent pas le droit à un recours juridictionnel effectif".
Sur les 30 articles du texte, les Sages ont en revanche censuré "pour tout ou partie dix articles de la loi déférée comme cavaliers législatifs [c'est-à-dire sans lien avec le fond du projet de loi, ndlr] ou contraires à la séparation des pouvoirs", selon leur communiqué.
Les 10 articles censurés
Les articles censurés sont les suivants : l’article 3 modifiant plusieurs dispositions du code de l’énergie afin de prendre en compte l’hydrogène bas-carbone dans les objectifs de la politique énergétique nationale et dans la programmation pluriannuelle de l’énergie ; l’article 4 modifiant le contenu de la loi déterminant les objectifs et fixant les priorités d’action de la politique énergétique nationale pour répondre à l’urgence écologique et climatique ; certaines dispositions de l’article 9 relatives à la prise en compte, au sein des documents de planification et d’urbanisme, de l’artificialisation des sols et de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers résultant des grands projets d’envergure nationale ; l’article 19 prévoyant la remise au Parlement d’un rapport relatif aux besoins humains et financiers de l’Autorité de sûreté nucléaire, de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire et du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection ; l’article 24 permettant à l’Autorité de sûreté nucléaire d’employer certains fonctionnaires et de recruter des agents contractuels de droit public et de droit privé ; l’article 25 modifiant les règles de parité applicables à la composition du collège de l’Autorité de sûreté nucléaire ; l’article 26 aggravant le quantum des peines réprimant certaines atteintes aux règles relatives à la protection des installations nucléaires contre les intrusions ; l’article 27 prévoyant que le rapport annuel établi par l’Autorité de sûreté nucléaire comporte un compte rendu de l’activité de la commission des sanctions de cette autorité ; l’article 29 prévoyant la remise au Parlement d’un rapport sur les recettes fiscales liées aux réacteurs électronucléaires qui sont perçues par les collectivités territoriales.
Enfin, le Conseil constitutionnel a censuré d’office comme contraire à la séparation des pouvoirs l’article 17 de la loi déférée qui subordonnait le dépôt d’un projet de loi à l’établissement de certains documents par le gouvernement.
Plus de 500 scientifiques français signent un appel contre le nouveau programme nucléairePlus de 500 universitaires et scientifiques de France ont signé un appel visant à "refuser tout nouveau programme nucléaire", mettant en garde contre les dangers de cette énergie et remettant en cause sa pertinence pour limiter le changement climatique. Cet appel, publié par le média écologiste Reporterre, intervient alors que le gouvernement a décidé de relancer cette industrie et de construire dans les prochaines années six réacteurs EPR2 de nouvelle génération, avec une option pour huit supplémentaires. "La raréfaction de l'eau douce et la réduction du débit des fleuves (...), tout autant que les risques de submersion des zones côtières dus à l'élévation du niveau des océans et à la multiplication d'événements climatiques extrêmes vont rendre très problématique l'exploitation des installations nucléaires", souligne notamment cet appel. Le refroidissement des centrales nucléaires est la troisième activité consommatrice d'eau en France (12%), derrière l'agriculture et la consommation d'eau potable, selon des données du ministère de la Transition écologique. En outre, "miser sur de nouveaux réacteurs dont le premier serait au mieux mis en service en 2037 ne permettra en rien de réduire dès aujourd'hui et drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre, comme l'urgence climatique l'exige", souligne le texte, qui reprend un argument souvent brandi par les contempteurs de l'atome. A l'inverse, les partisans du nucléaire y voient un moyen de préserver la souveraineté énergétique du pays tout en réduisant la consommation d'énergies fossiles et donc également les émissions de CO2 qui réchauffent le climat. Parmi les signataires, des chercheurs et scientifiques, en activité ou émérites, en physique nucléaire, agronomie, mathématiques ou sciences humaines, du CNRS, de l'Inserm, de l'Inrae, entre autres, comme Jacques Testart, père scientifique du premier bébé-éprouvette français, ou l'économiste Geniève Azam, mais aussi deux anciens leaders de l'écologie politique comme Noël Mamère et Yves Cochet. Cet appel revendique sa filiation avec "l'appel des 400", une tribune signée par 400 scientifiques en février 1975 dans le journal Le Monde, qui invitaient la population à refuser l'installation des centrales nucléaires, compte tenu des inconnues d'alors sur les risques et conséquences. Au-delà des accidents nucléaires qui ont eu lieu depuis dans le monde (Three Mile Island, Tchernobyl, Fukushima), les signataires mettent aussi en garde sur la question des déchets, une problématique que vont "aggraver" le démantèlement et la dépollution des centrales en fin de vie. Enfin, les auteurs soulignent que l'électricité nucléaire est "indissociable d'un modèle économique basé sur le productivisme et le gaspillage, qui doit prioritairement être revu". AFP |